
J+M
Une remarque en préalable. Le
Portugal, terre d'exil et de voyageurs, a pour saints principaux deux exilés.
Ainsi Saint Antoine, lisboète de souche, est connu paradoxalement comme St
Antoine de Padoue. Quand à Sainte Elisabeth du Portugal que le pays fête ce
jour, elle naquit en Espagne dans la famille royale d’Aragon, devint reine,
mère et sainte au Portugal avant de rendre son âme à Dieu sur la route en
tentant, comme elle n’avait cessé de la faire, de rétablir la paix dans sa
turbulente famille de princes ennemis.
Cette interculturalité chrétienne
n’est-elle pas le signe de l’universalité de ceux qui affirment avec Saint Paul
“pour nous, notre patrie est dans les cieux” ? (Phil, 3:20) . Elle n’exclut certainement pas l’amour de
la patrie terrestre, et ne le dilue en aucun cas dans une globalisation anonyme
: être chrétien c’est bien se doter au contraire d’un message universel, que
tous peuvent entendre.
C’est pourquoi une Elisabeth qui
quitte sa patrie pour aller devenir reine dans un royaume voisin illustre le
destin de l' âme. Elle actualise prophétiquement la noblesse de la vocation de
tout homme, qui devra un jour quitter ce monde pour régner avec le Roi des rois
et lui devenir semblable. A condition d’avoir accepté et reçu l’amour de Dieu,
et d’avoir décidé de lui ressembler.
Elisabeth nous montre que cet appel
est possible dans tous les états de vie. On se souviens de l’exhortation de
saint François : fleuris où tu es semé. Semée dans une famille
princière, exposée aux dangers incessants de l’intrigue et de la fortune, elle
considéra tout ceci à sa juste valeur pour n’aspirer qu’aux biens du Ciel
qu’elle fit fleurir autour d’elle pour ceux qui l’approchaient.
Le prêtre qui ce matin rappelait sa
mémoire au Portugal employait un raccourci intéressant : Mère et Sainte, et
d’autant plus sainte que mère, et d’autant plus mère que sainte. Tous les états
qu’elle a connus ont été en effet autant de tremplins pour s’élancer avec
fougue vers le Ciel. Elle qui souhaitait être moniale dut se marier, elle qui
souhaitait venir en aide aux pauvres dut lutter contre les exigences de son
mari. Amoureuse de la paix, elle dut voir son fils aîné s’opposer à son père,
allant jusqu’à prendre les armes contre lui, puis un de ses petits-enfants,
prince d’une autre contrée, déclarer la guerre à son pays.
Le pain et les roses sont donc à
l’honneur aujourd’hui 4 juillet, intimement associés à la fête de sainte
Elisabeth du Portugal dont ce blog a déjà évoqué la figure ici et là. Le pain bien sûr puisqu’il représente à juste titre
l’alimentation, et par extension ce qui est nécessaire pour vivre. Mais ce
n’est pas tout. Même Jésus dira à Satan qui le tente que l’homme ne vit pas
seulement de pain. Il y a aussi les roses, tout aussi nécessaires. Les roses
qui représentent la nature dans sa beauté, celle qui réjouit les yeux. Elles
symbolisent aussi les vertus, lesquelles embaument la vie du croyant comme le
font les fleurs.
La fête de ce jour ne dissocie pas le
pain et les roses, et c’est tant mieux. Car le don que faisait perpétuellement
la reine de sa vie et de sa fortune en venant au secours des nécessiteux ne
leur donnait pas seulement de quoi vivre, mais bien aussi une raison de vivre.
En voyant leur détresse soulagée, les pauvres pouvaient croire à la vérité de
la Bonne Nouvelle du salut. A ce titre, les roses que sainte Elisabeth vit un
jour apparaître miraculeusement dans son manteau représentent l’amour dont elle
se faisait la messagère, le canal visible. C’était cela sa sainteté à elle, se
faire transparente à Dieu pour que les hommes puissent Le voir à l’œuvre à
travers ses actions.
On retiendra que cet amour lui fit un
jour laver, puis donner un baiser aux plaies d’une malheureuse dont tous
s’écartaient du fait de ses ulcères nauséabonds. Ce baiser aussitôt la guérit.
Devenir soi-même pain et devenir soi-même
rose, c’est imiter ce que fit le Seigneur dont l’amour est devenu nourriture,
capable d’alimenter chaque jour ses fidèles. Le sacrifice sur l’arbre de la
Croix au plan symbolique anéantit l’œuvre des ténèbres qui commença elle aussi
sous un arbre. Jésus est devenu lui-même le fruit qui pendait de l’arbre de la
Croix et dont le corps donné en nourriture à ceux qui l’aiment guérit des
morsures du serpent. Et c’est son sang qui a fait fleurir, comme le dit la
liturgie, les roses du salut.
Sainte Elisabeth du Portugal,
entièrement donnée au Christ au point d’œuvrer les mêmes miracles que lui, fut,
elle aussi pain pour son peuple, qu’elle nourrit et à qui elle enseigna par
l’exemple d’une vie configurée à celle de Jésus. Le Portugal qui célèbre sa
fête par du pain et des roses récapitule donc fidèlement son message à travers
deux symboles simples dont la portée est universelle.