dimanche 28 février 2010

Où il est question d'oiseaux, de ciel bleu, de mer et d'un peu de sang


J+M

C’est l’histoire d’une société de Goélands qui a perdu la mer et vit sur un de ces dépotoirs qui sont le revers de la médaille des paradis urbains. Peuplés de rats et de porcs, de chiens errants et de toutes sortes de vermines, ils nourrissent aussi ces oiseaux-là qui en sont apparemment fort aise.
Au début la transition entre l’Océan et l’immense tas d’ordures fut difficile pour les oiseaux. Certes il y avait abondance de protéines et autre rebuts recyclables, certes il y avait là des pitances inouïes et, disons-le tout net, savoureuses, que la mer jamais n’offrit à la gent pélagique : charognes, hamburgers Quik halal ou non, rondelles de mortadelle périmée, délicieuses carcasses en décomposition, passons. Le bec des oiseaux marins gardait cependant le souvenir des saveurs sauvages façonnées par les embruns. C’est donc lentement que l’habitude de vivre de la pêche, l’ivresse de suivre les barques des pêcheurs en tournoyant en groupe, les ailes déployées pour épouser le vent fut oubliée ; le confort et la chaleur du vaste dépôt firent le reste et notre colonie y prospéra. Il y eut quelques autres désagréments connexes …

Les ailes devenues inutiles s’atrophièrent, on s’en consola.
Les pattes durent s’arquer et se durcir pour fouir les masses en décomposition ; on en fit son affaire.
Les becs aussi se durcirent et prirent un aspect crochu semblable à celui des vautours. On en prit son parti.
Et pour finir, il fallut aussi consentir à voir les rats dévorer la plupart des nichées. En effet, en l’absence de falaises, les oiseaux durent apprendre à couver à même les immondices, pour le plus grand profit des rongeurs qui les peuplent. Il fallut aussi passer cela par pertes et profits, et même feindre d’admettre que le contrôle de la natalité était un progrès, signe de l’avènement de temps modernes, prospères et radieux.

Survint un jour un grand Goéland venu de la ligne d’horizon, qui se surprit et se désola de voir ses frères de race à cepoint diminués et enlaidis, si différents du projet des origines pour lesquels ils avaient été créés.
Informé de leurs coutumes, il versa tant des larmes au récit du destin des œufs dévorés que la colonie préféra ne pas lui parler des poussins qui l’étaient aussi. A leurs questions sur sa lignée il répondit sans hésiter, et grande fut leur surprise quand il les informa qu’il ne venait d’aucun dépotoir mais bien de la mer.
Et que mangeais-tu là-bas ? s’étonna-t-on.
Des poissons volants que j’attrapais en vol, leur fut-il répondu.
L’affaire fit grand bruit et provoqua un scandale médiatique sans précédent. Elle fut rapportée aux anciens qui la classèrent sans suite, ne sachant comment la traiter et espérant que le nouveau venu veuille agréer comme les autres les délices de l’ordure.

Mais le grand Goéland n’en fit rien. Loin d’adopter les coutumes de ses congénères, il se mit à leur raconter la mer.
Il faut cependant reconnaître qu’hormis quelques poussins personne ne l’écoutait. Il invoqua la noblesse des vastes oiseaux des mers, leur fit miroiter les récits antiques où pureté et virtuosité faisaient des soirs de tempête des moments de pure extase dans la lumière du couchant ; les hautes falaises pleines d’abris où nicher en toute quiétude, et même, pour porter le débat à un niveau qui puisse être entendu des nouveaux boueux, de la saveur des sardines et des crevettes arrachées à l’écume.
Bien peu l’entendirent.

Il parla de les conduire lui-même à la mer.
On lui rit au bec.

Il proposa de les porter un à un sur son dos jusqu’au rivage.
On ne voulut même pas en entendre parler. Pire, on commença de lui jeter des détritus, et l’un des colons les moins aptes à voler, l’un des plus obèses le pinça cruellement et fit couler son sang.

Il parla encore, rapporta de la mer des poissons fraîchement pêchés, ce qui n’émut qu’une vieille mouette déplumée qui se souvint de sa première saison sur une île battue par les vents il y a fort longtemps, car ces oiseaux ont avec les hommes le point commun de mesurer leur âge en décennies. Mais la colonie le traita de sorcier et de menteur et s’il ne périt pas ce jour-là c’est qu’il prit un essor que les autres ne purent suivre. Ils regagnèrent leur pays de remugles avec la satisfaction du devoir accompli.

A la consternation générale il était là le lendemain. Encore plus blanc. Encore plus décidé à leur parler de la mer, de sa lumière, et à les prier de renoncer aux remugles des détritus pour aller pêcher dans l’Infini.
Ils décidèrent alors de se débarrasser définitivement de l’Importun.
Feignant de l’écouter ils se ramassèrent en meute autour de l’Oiseau, le tuèrent et le dépecèrent sans pitié, allant jusqu’à absorber son sang pour ne plus laisser de trace. Cette fois on a gagné, on va enfin être tranquilles.
A peine une poignée de juvéniles qui avaient aimé l'écouter purent-ils récupérer qui une plume, qui un brin de duvet après l’horrible curée. Bouleversés, ils résolurent de fuir le groupe criminel à la première occasion.

Le lendemain, douze jeunes oiseaux blancs s’envolaient en hésitant dans la lumière de l’aurore tandis que les bulldozers s’avançaient vers le dépotoir où dormait encore, engourdie, le reste de la colonie .

***************
Autres roses du désert :

Psaume 91:3-4
Je dis à l'Eternel: Mon refuge et ma forteresse, Mon Dieu en qui je me confie!
Il te couvrira de ses plumes, Et tu trouveras un refuge sous ses ailes; Sa fidélité est un bouclier et une cuirasse.

1 commentaire:

  1. quand l'ami Fred nous fait dans la parabole, portée sur les plumes de la gent ailée, c'est proprement magnifique ! et d'une haute portée morale, en plus du récit grandiose qui nous est offert ! quelle belle page !

    RépondreSupprimer