vendredi 24 juin 2011

Rien.

J+M
Rien, cette écume, vierge vers ….
C’est à Mallarmé, prince des poètes, que l’on doit cet octosyllabe qui désigne toute son œuvre. Puissante intuition de l’artiste en qui, par brèves fulgurances, la vie surnaturelle se dévoile, souvent à son insu, comme malgré lui.  Il y a de ces accointances dans la vie spirituelle. On sait que l’art rejoint le sacré par intermittences géniales et que la quête des mystiques rejoint souvent celle des poètes.
Rien donc. C’est tout notre trésor que ce rien là, nous qui cherchons Dieu. Non point un rien lugubre et déshonoré, mais un rien sonnant et tintant, un rien assumé, joyeux, tonique, un rien capable de Dieu. Pas moins.
Ce rien là est celui du Magnificat. 
Il comble de bien les affamés
 Renvoie les riches les mains vides
  Nous dit Marie, parlant de Dieu. 
Elle, la Toute Sainte. Celle qui a tout donné, qui a donc tout reçu de Lui.
Et nous voilà tout emberlificotés dans nos richesses maigrelettes, tels des Shadocks de la vie spirituelles occupés à pomper sur la route d’un autre monde. Nos riens sont connus, identifiés, catalogués : c’est exactement ce à quoi doivent renoncer ceux qui font vœu d`être de Dieu, à savoir richesse, puissance et gloire.
Or on a vite fait de stigmatiser les riches. Proie facile pour la vindicte. Espronceda, poète romantique espagnol, résumait en un raccourci tout à fait intéressant tout un pan de la pensée chrétienne du Moyen-Age :
La richesse est péché
Sainteté, la pauvreté
(Y es pecado la riqueza: la pobreza santidad)
Or c’est aller vite en besogne que de rester dans le seul domaine de l'argent et des biens : la richesse est ce qui nous possède et pas seulement un compte en banque bien garni.. On peut être riche de « sa » douleur, de « sa » souffrance, de « son » savoir, de « son » expérience si cela nous occupe et nous offusque sans cesse, et nous prive de la certitude de marcher avec Dieu. Si c’est le cas cette étrange et triste richesse empêchera Dieu de nous remplir de la Sienne. A l'inverse, on peut aussi nager dans l’opulence et rester absolument pauvre, dépossédé de biens, honneurs et titres tels ces saints de lignée royale qui sans cesser de régner ont préféré à l’éclat de leur trône  celui de l’autel. En France, St Louis et Ste Jeanne, en Espagne Saint Fernand, au Portugal Ste Elisabeth, Ste Brigitte en Suède, St Edouard en Angleterre pour n'en citer que quelques-uns,  ont montré que cela était possible… Tant de familles royales européennes ont eu leurs saints, sans oublier la Russie où une princesse,  petite-fille de la reine Victoria, a poussé la vertu jusqu’au martyre au début du siècle dernier.

Ce rien qui nous occupe, on s’en doute, est à conquérir de haute lutte. Ce rien-là est un horizon auquel on tend et vers lequel on ne peut que marcher sans jamais l'atteindre. Et pourtant, qui d’entre nous ne serre pas dans sa main comme un enfant revenant de la rivière les quelques miettes d’un trésor pitoyable dont il se fait avare et riche, un pardon refusé, un péché chéri, un souvenir ?
Sur la route de la Terre Promise, comme les Hébreux guidés par la Nuée Sainte, nous nous souvenons des oignons que nous mangions pendant notre esclavage. A l’époque où nous ne Le connaissions pas, Lui qui veut tout pour nous. Heureusement la vie est là, chemin de dépouillement qui démasque les convoitises. A y bien réfléchir, qui accepterait froidement d’échanger la vie éternelle contre le plat de lentilles des richesses et des honneurs ?

Il y a encore dans ce rien une infinité de choses à méditer. La consolation de n’être rien s’ajuste au bonheur de savoir que ce rien est choisi par Dieu, aimé par Dieu, voulu par Dieu.
Ce Dieu qui avec une patience étonnante nous a tissés brin a brin, d’abord physiologiquement dans le sein de notre mère, puis spirituellement, au fur et à mesure que nous avons accepté d’être comblés par lui. Ainsi, grandir en se débarrassant de ses certitudes, en admettant qu’on a encore tant à apprendre de Celui qui est aux Cieux est une démarche paradoxale.

 Il y a dans la noblesse de cette ambition un je ne sais quoi – un instinct de baptisé ? qui fait que l’on sent que ce vierge vers décrit par le poète est appelé par une Parole en qui est définitivement toute la beauté de la poésie, et qu’un Océan en qui se trouve la Vie elle-même appelle cette écume.
Notre rien aspire au Tout. C’est sa joie de savoir que le Tout l'aime en retour et se veut donner à lui comme s’il n’y avait au monde que notre petitesse pour Le recevoir.



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