samedi 31 octobre 2009

La cathédrale de Don Justo

Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel. Racine, Athalie I,1

J+M

Allez, il vous faut encore entendre une histoire espagnole. Je suis comme ça, moi, vous le savez, fidèle à mes passions et mes coups de cœur qui en deviennent presque des obsessions. Mais peu importe le théâtre des opérations, seule compte la beauté d’une l’histoire dont la portée est peut-être universelle. Et puis des français, des roumains et d’autres chercheurs de Dieu sont mentionnés dans ce billet. Voyez plutôt.
C’est donc l’histoire vraie d’un homme appelé Don Justo (et son nom est bien sûr emblématique) qui construit tout seul une cathédrale dans les environs de Madrid.
A Mejorada del Campo pour être précis.
Depuis 1961, depuis 48 ans donc, sans autres ressources qu’une foi inébranlable, un terrain jadis hérité et sa force de travail Don Justo construit « sa » cathédrale comme d’autre cultivent leur jardin.
L’homme a commencé cette entreprise insensée dans l’indifférence générale, et sans doute l’animosité d’une municipalité peu encline à tolérer cette construction sans plan ni projet ni permis. L’ouvrier était bien seul et ne disposait, que l’on sache, que de lumières bien incertaines sur l’architecture, n’ayant pas fait d’études. Quant aux financements, ils étaient tout simplement inexistants.
Et pourtant aujourd’hui la cathédrale, encore qu’inachevée se dresse sur la bourgade, elle en est devenue la fierté. Célèbre dans le monde entier, elle a même servi de cadre à un sous-produit (Dieu garde) de Coca Cola pour tourner un spot sur la beauté d’un monde où de telles folies sont possibles.
Ainsi aujourd’hui une seule recherche sur Google avec ce toponyme aboutit à des milliers de photos de cette odyssée unique de briques et de fer.
Don Justo édifie pour Notre Dame du Pilar. Ce vocable n’est certainement pas indifférent qui signifie Pilier. Pour un constructeur beaucoup d’invocations de la sainte Vierge dans les litanies présentent un intérêt certain si on les prend au sens littéral car on l’invoque ainsi : Maison d’or, Porte du Ciel, Tour d’ivoire et Tour de David. Or c’est à Saragosse que l’on vénère dans sa Cathédrale Notre Dame du Pilar. D’étranges ex-votos y sont exposés, ce sont les 4 bombes que l’aviation républicaine soucieuse de détruire un symbole fit tomber sur la basilique dès les premiers jours de la guerre civile en août 1936. Par prodige, elles n’explosèrent pas. Nul doute que notre constructeur apprécie cet hommage, lui qui toujours gardé le même cap, que ce soit face à l’indifférence de ses voisins pendant des lustres ou devant le matraquage d’une soudaine notoriété due à l’intrusion du limonadier dans son projet sacré.
L’excentrique Don Justo est pourtant mû – on s’en doute – par un dessein archétypal. Exagéré sans doute, encore que. Ce prophète d’un genre nouveau nous dit à sa façon des mots d’un Dieu qui nous enseigne à travers la voi(e)x qu’il a suscitée.
On le sait, le Seigneur aime à poser des gestes prophétiques pour nous enseigner. Jadis Ézéchiel dans le but d’édifier ses contemporains se promena sous un joug annonçant de façon spectaculaire la menace de l’esclavage qui pesait sur le peuple apostat (Jérémie 27.2)
Le même Ézéchiel fut poussé à percer la muraille de la ville sainte pour en sortir et figurer ainsi l’exil. La Parole de Dieu devient ainsi spectacle, « sous leurs yeux » étant l’expression clé.
Ézéchiel 12 :1-6
« 1- La parole de l'Éternel me fut adressée, en ces mots : 2- Fils de l'homme, tu habites au milieu d'une famille de rebelles, qui ont des yeux pour voir et qui ne voient point, des oreilles pour entendre et qui n'entendent point ; car c'est une famille de rebelles. 3- Et toi, fils de l'homme, prépare tes effets de voyage, et pars de jour, sous leurs yeux ! Pars, en leur présence, du lieu où tu es pour un autre lieu : peut-être verront-ils qu'ils sont une famille de rebelles. 4- Sors tes effets comme des effets de voyage, de jour sous leurs yeux ; et toi, pars le soir, en leur présence, comme partent des exilés. 5- Sous leurs yeux, tu perceras la muraille, et tu sortiras tes effets par là. 6- Sous leurs yeux, tu les mettras sur ton épaule, tu les sortiras pendant l'obscurité, tu te couvriras le visage, et tu ne regarderas pas la terre ; car je veux que tu sois un signe pour la maison d'Israël. 7-
Or, si Don Justo dans sa folie d’un genre prophétique réactualisé nous interpelle, c’est bien parce que nous avons tous vocation à construire, sous une forme ou une autre, un Temple.
Certes, il n’entre probablement pas dans les desseins du Seigneur de nous conduire à construire effectivement un édifice religieux de plus. Le faudrait-il, d’ailleurs, alors que tant de merveilleuses chapelles languissent sous le fardeau d’une reconversion culturelle qui les humilie et, parfois, les souille ? C’est une autre affaire. En ce qui nous concerne, nous avons principalement deux temples à édifier : celui de l’Eglise, car nous sommes les pierres d’un édifice saint (1Pierre 2.5) et le nôtre, car nous sommes le Temple du Saint Esprit.
Or, qu’est-ce qu’un Temple ?
C’est un espace consacré, c'est-à-dire mis à part, hors du circuit ordinaire des contingences, où l’on se trouve en présence de Dieu. Nos Temples catholiques abritent la présence réelle de Jésus Hostie, ce qui invite à la dévotion, au recueillement, à une attitude digne, et demande également lorsqu’on s’y trouve de s’y conduire avec révérence. J’ai un ami très cher qui se prétend athée (pour ma part je considère qu’il est, par bien des points, plus chrétien que moi). Chaque fois qu’il visite une église il fait en y entrant un signe de croix qui toujours m’impressionne par son recueillement. Si un athée peut agir ainsi, que ne devrait pas faire un croyant qui sait que son Dieu est là ?
Nous avons donc ainsi ; à l’exemple de Don Justo ; à construire notre enceinte sacrée, ce temple personnel qui permet de retrouver en nous notre Dieu, Dieu qui nous est plus intime que nous-mêmes selon le mot de Saint Augustin.
Méditation, effort, purification, recours aux sacrements, lecture de la Parole, des Pères, rien n’est superflu. Ni même -on l’a vu, comme disait un compatriote du bâtisseur le simple fait de manger des oignons pour l’amour du Christ. Comme Don Justo, notre cathédrale intime se construit de matériel recyclé. Nous n’avons pas (et c’est tant mieux) la faculté de créer de la matière, et d’ailleurs quelle matière serait assez pure et noble pour accueillir un Dieu ? Mais la crèche nous aide à comprendre ce mystère. C’est dans une étable sordide et sale que Jésus est né. Nous savons ainsi absolument que son désir est de naître dans l’édifice délabré, ruineux, et sans doute sale de nos cœurs. Là est le lieu du Temple qu’Il souhaite habiter de Sa présence.
Don Justo recycle toutes sortes de matériaux pour en faire sa cathédrale.
Qu’avons-nous, pour notre part, à « recycler » ?
Essentiellement des instants, que Dieu donne à pleines poignées. Que d’heures, de secondes et de minutes s’enchevêtrent dans notre vécu, toutes sanctifiables par Dieu ! Combien de battements de cœurs ! Tous en théorie sont pour Lui. (Rendez à César ce qui est à César - c’est à dire le prix de l’impôt ; c'est-à-dire un peu d’argent - et à Dieu ce qui est à Dieu - tout le reste est à Dieu !)
Quelles victimes enfin offrir dans cette enceinte ? Sur l’autel de notre cœur ?
Poser la question c’est déjà y répondre, car ces victimes ne peuvent être d’une part que nos propres passions auxquelles la contemplation du Bien Aimé nous invite à renoncer et que l’on devrait donc pouvoir sacrifier sans trop de peine, et d’autre part l’encens de nos prières maigrelettes unies à celles que le Seigneur, qui intercède pour nous, présente pour nous à Son Père.
Donnons-Lui donc nos instants ! Donnons-Lui ce qu’Il demande, les battements de notre cœur.
C’est la démarche d’un Fray Rafaël, d’une sainte Thérèse, et de tous ceux qui ont compris que ce n’est pas par la tête que l’on arrive à Dieu, mais bien par le cœur.
Quel projet peut-il être plus passionnant que celui de construire une cathédrale intime et de la dédier à ce Dieu qui nous aime et nous reçoit avec bienveillance, bénignement comme on disait jadis ? Est-ce aussi fou et démesuré que le projet de Don Justo ? C’est pourtant là-dessus que nous aurons à dialoguer avec le Seigneur quand il viendra nous demander des comptes des talents qu’il nous a confiés. C’est là, dans ce sanctuaire intime, que doit brûler l’huile de la lampe qui doit être tenue allumée pour la venue de l’Epoux.
Huile de nos menues rencontres, des oraisons qui suintent de la paroi du cœur et embaument d’un zeste de Paradis le regard, la journée, la vie entière. Mots très menus, oraisons, souffles, battements de cœurs, voilà les pierres et les colonnes que nous manions, le plus souvent à notre insu, dans cette prodigieuse intimité avec le Roi des Rois qui nous accorde d´être reçus autant de fois que nous le souhaitons.
Construire une cathédrale de plumes et de lumières, d’instants d’amour et de battements de cœurs, de mots chuchotés pour Dieu seul, c’est aussi ce qu’on fait –et que très certainement font encore- les martyrs de toute origines, les soudanais, irakiens, chinois, russes, polonais et tant d’autres.
Richard Wurmbrand, qui a passé tant années dans les geôles roumaines a relaté cette expérience dans Mes prisons avec Dieu. Lui qui fut torturé pendant des années par l’effroyable Securitate, il a fait l’expérience sensible de la douceur de la présence de Jésus Christ en lui-même, qu’il évoque en termes bouleversants dans son témoignage littéraire.
La cathédrale de la « petite » sainte de Lisieux s’est certainement aussi construite avec de minuscules épingles ramassées par amour et en silence.
Souvenons –nous enfin que ce projet fut aussi caressé par d’autres âmes, pas forcément des mystiques. Baudelaire n’écrivait-il pas, avec cette grande familiarité qui est le privilège des poètes et des artistes plus sensibles que nous au divin :
Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse
Un autel souterrain au fond de ma détresse

A une Madone, Les Fleurs du Mal

Don Justo est prophète. A ce titre, son nom aussi nous enseigne. N’est –il pas dans son projet insensé de donner du sacré à tout prix à un monde qui n’en veut pas, la figure du juste par antonomase, celui qui ne veut rien sacrifier aux idoles ?
Cette justice-là est bénie d’une bénédiction toute spéciale que le Psaume 91 (92) décrit avec jubilation :
Les justes croissent comme le palmier, Ils s'élèvent comme le cèdre du Liban.
Plantés dans la maison de l'Eternel, Ils prospèrent dans les parvis de notre Dieu

On ne s’étonnera pas qu’avec un nom pareil cet homme ait aspiré de toutes ses forces à être planté dans les parvis de notre Dieu, même si c’est au prix de l’effort improbable de les construire pierre à pierre, brique à brique, au long de toute une vie.
Puissions-nous saisir le sens de ce geste prophétique et devenir à notre tour constructeur de notre cathédrale particulière où Dieu nous attend pour y prier, pour y respirer, pour y vivre.

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Les armes du combat

1Pierre 2.5 :
Et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d'offrir des victimes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ.
1 Corinthiens 6 19 :
Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-mêmes ?
Saint Augustin : Conf., III, vi, 11
"Dieu plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous-mêmes."

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